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lundi 12 janvier 2009

L'intarissable parole de Christophe Tarkos

LE MONDE DES LIVRES | 25.12.08 | 16h45 • Mis à jour le 25.12.08 | 16h45
Sur la tête de Christophe Tarkos, il faut accumuler les adjectifs, sans craindre les contradictions : sauvage, grave, raffiné et loufoque, maniaque, contrôlé et dépressif, délirant, sensé, matérialiste et mystique... "Il y a du simple et de l'idiot", avoue l'intéressé. D'une formidable effervescence, son oeuvre, non seulement accepte, mais appelle ces contraires. Ils sont sa bénédiction ; elle s'en exalte et s'en nourrit. Comme si le battement inépuisable et l'expansion sans fin étaient son registre.
Fin il y eut cependant : Tarkos est mort des suites d'une tumeur au cerveau le 30 novembre 2004. Il venait d'avoir 40 ans. En une dizaine d'années, il avait eu le temps de publier de nombreux livres (notamment chez POL, aux éditions Al Dante et Ulysse fin de siècle), de participer à l'aventure de plusieurs revues, de donner et d'enregistrer des lectures, des performances, de dessiner. Et surtout de devenir l'une des figures majeures de la poésie contemporaine. Mais cette appellation est trop solennelle. Disons plutôt l'une de ses figures les plus vivantes, les plus mobiles. Et cela, la mort ne l'a pas interrompu : le rassemblement de ses Ecrits, dont c'est ici le premier volume, le prouve avec éclat.
Au contact de la société, surtout celle des gens qui ne lisent pas de poésie, l'image du poète se brouille, jusqu'à se simplifier absurdement : elle devient vite masque et cliché. Chaque époque a les siens, du rhéteur au lyrique, du romantique exalté au formaliste froid. A cette image convenue, commode, Tarkos en oppose une autre, beaucoup plus intéressante. C'est comme s'il reprenait les choses et le monde à leur origine. Sans se laisser impressionner. Ou plutôt le contraire : en se faisant disponible, spongieux, impressionnable. C'est de la vérité qu'il parle, de l'intelligence, de l'amour, de l'argent, de Dieu et du langage. Car lorsqu'on est poète, on sait intimement, on a l'intuition que le langage est la matière première et le vecteur de la vérité, de l'intelligence, de l'amour.
"Pour moi la langue n'est pas en dehors du monde, c'est aussi concret qu'un sac de sable qui te tombe sur la tête, c'e.st complètement réel, complètement efficace, efficient, utile." Ces mots sont tirés d'un entretien datant de 1998. La même chose, mais cette fois exprimée en poème : "Ma langue est poétique par tous ses pores, par tous ses membres, le long de toute sa sublime sensibilité révélée par ses mots magiques, tous ses mots, le moindre de ses mots..." Citer Tarkos, détacher une phrase ou une autre, comme s'il s'agissait d'un aphorisme, c'est ne pas faire justice à la vague démesurée de sa parole : "Quelque chose n'arrête pas de continuer, qui va aller encore et qui dure."
Parole intarissable, tirée de la "patmo", cette "substance de mots englués", incessamment reconduite à cette origine de glaise et d'esprit. Parole qui fait naître une "poésie faciale", qui fait advenir à partir de rien un poème "brut et non épais". Francis Ponge n'est pas loin, mais comme détourné de son lit rectiligne et majestueux.
"La poésie est une intelligence", affirme Christophe Tarkos. Christian Prigent, qui est son aîné, a raison de souligner que ses poèmes "ne disent pas rien" et qu'ils "disent d'abord ce qu'ils font". "On aime, ajoute imprudemment le préfacier, que ces pages s'octroient le droit de ne rien céder au devoir de faire sens." Mais non, tout cherche la clarté, tout fait sens au contraire. Juste avec un peu de frénésie. Un sens en excès, en crue, en donation perpétuelle, loin de toute ironie, de tout surplomb sur soi-même, ou de tout recroquevillement. "La pensée doit aller plus vite que son propre assoupissement", professe encore Tarkos, et il faut entendre là quelque chose d'essentiel. Oui, Tarkos le magnifique, Tarkos le vivant.
"Ecrits poétiques" de Christophe Tarkos. Edition établie par Katalin Molnar et Valérie Tarkos, préface de Christian Prigent, POL, 426 p., 20 €.

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